EN SILENCE – Les Yeux des Morts
France
2015 – en cours

Tuer des animaux en voiture est banal: pourtant le phénomène du Roadkill participe directement, avec l’étalement urbain et le développement des infrastructures routières, à la raréfaction d’espèces menacées comme le hérisson; il s’accroît proportionnellement au nombre de véhicules, jonchant ainsi quotidiennement les routes et autoroutes de milliers de cadavres pathétiques rapidement aplatis et méconnaissables. Illustrations de l’hégémonie humaine sur un monde naturel de plus en plus fragmenté, ces meurtres, commis pour nombre d’entre eux par simple négligence ou manque d’attention, démontrent notre absence d’empathie pour le règne animal, si ce n’est à travers un fugitif sentiment de culpabilité rapidement soldé par un argument aussi imparable qu’un pare-choc pour un blaireau aveuglé par les phares à la tombée de la nuit: notre incapacité à éviter un obstacle à une vitesse donnée sur une bande de bitume censée n’appartenir qu’au règne humain.

Cette anthropisation du territoire renvoie de fait à des questionnements éthiques et philosophiques qui émergent de façon prégnante dans un contexte où la mort animale – et notamment la consommation de viande – devient un enjeu indissociable des préoccupations environnementales. Derrière leurs yeux vitreux ou excavés par les larves, les animaux récemment tués ou réduits à l’état de charognes nous incitent à l’auto-projection plutôt qu’à une vaine culpabilisation. Extraites d’un réel trivial confinant à l’horreur, ces images nous renvoient la violence de notre rapport méprisant au monde naturel, et pour ceux qui acceptent d’interroger jusqu’au bout notre légitimité à détenir le droit de vie ou de mort sur des êtres jugés inférieurs, à toucher du doigt les fondements de l’antispécisme. Elles nous rappellent qu’aucun être sentient ne veut mourir, et que concevoir la cohabitation homme-animal comme celle de deux civilisations n’est pas aujourd’hui qu’un concept, mais une nécessité.