Maison à vendre
2016
«Au cœur d’un petit village, cette maison de caractère saura retenir votre attention par son potentiel.»
Une ancienne ferme cossue du XIXème siècle, quelque part dans l’Ouest de la France. Une bâtisse vide de plus sur un marché immobilier moribond dans une zone à l’écart des grandes villes et des bassins d’emplois – marché qui de toute façon préfère bouder «l’ancien» dans les cœurs de villages au profit de constructions de promoteurs jetées sur des terres agricoles. La dernière génération d’agriculteurs née dans l’entre-deux-guerres vient de s’éteindre, et avec elle un mode de vie et un rapport à la terre qui malgré la mécanisation, avaient relativement peu évolué pendant le XXème siècle dans nombre d’exploitations françaises. Cette génération, c’est celle de mes grands-parents; cette vieille ferme vendue à un prix presque dérisoire se trouve dans le village où j’ai grandi, un village où la classe unique a depuis longtemps fermé et où l’église n’est fréquentée que lors des enterrements. Le délaissement de ce patrimoine interpelle: il pose la question de la crise foncière et écologique qui affecte «nos campagnes» menacées autant par le manque de perspectives économiques que par la péri-urbanisation. Il est dans certaines régions la manifestation d’un phénomène insidieux, celui de l’évolution brutale (à l’échelle de l’histoire), de certains terroirs déjà mis à mal par le remembrement et condamnés à disparaître; il marque enfin, de façon encore plus impalpable, la disparition de l’âme et de l’esprit d’un village.
C’est cette dissolution identitaire que représente cette tragédie jouée à huis clos, loin des préoccupations des décideurs et des citoyens. L’errance du personnage qui hante ces lieux semble a priori obéir à un fil narratif: mais ni le début ni la fin n’ont vraiment d’importance, seuls l’abandon et la souffrance dans un espace labyrinthique confèrent un sens à ces murs anciens imprégnés de souvenirs. La mise en vente marque l’enfouissement définitif des valeurs de la ruralité, et le personnage n’est qu’une allégorie de la mise à mort de la mémoire dans l’indifférence générale. Dans un cadre carré n’offrant aucune échappatoire, le proche, le lointain, la présence, l’absence, deviennent des outils graphiques au service d’une chorégraphie silencieuse et pathétique, laquelle dévoile une dernière fois un environnement désuet qui n’est plus que le vestige de lui-même